2 mai 2024 - Oona Baumier

 

Analyse

Un nouveau regard sur le nu féminin dans l’art

De la «Vénus de Milo» à «La Grande Odalisque», le nu féminin est omniprésent dans l’histoire de l’art occidental. Lors d’une conférence, le 13 mai prochain, la professeure Giovanna Zapperi mettra en lumière les enjeux féministes de ces représentations et expliquera comment les artistes elles-mêmes se sont réapproprié le corps féminin.

 

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Francesco Vecellio (attr.), Lucrèce (détail), v. 1530, huile sur toile, The Royal Collection, Hampton Court Palace. Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2024


Dans les grands classiques du nu féminin, tels que les multiples représentations de Vénus (La Naissance de Vénus de Botticelli ou la Vénus de Milo par exemple), La Grande Odalisque d’Ingres ou encore le Nu dans l’atelier de Matisse, le regard porté sur la femme suggère un sujet implicite: l’individu qui regarde ou qui peint et qui est ici majoritairement masculin.

Quelle image de la femme ces représentations véhiculent-elles? La professeure Giovanna Zapperi s’efforcera de répondre à la question dans le cadre d’une conférence intitulée «Le nu féminin dans l’art: un enjeu féministe» qui aura lieu le 13 mai, à l’initiative du Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’UNIGE (CMCSS). Elle y fera le lien entre deux mouvements féministes dans l’art: les recherches féministes sur le nu féminin à travers l’histoire de l’art occidental et les femmes artistes qui se réapproprient l’image de leur corps en tant qu’objet d’expression artistique.

 

«Ce qui pose question, ce n’est pas tant l’existence des artistes femmes, présentes mais peu reconnues dans l’histoire de l’art, précise Giovanna Zapperi, professeure ordinaire en histoire de l’art contemporain à l’Université de Genève, que le nu féminin en tant que sujet de l’œuvre.»

Sous la loupe de la critique féministe
À cet égard, les recherches menées par les historiennes et critiques d’art montrent quelles représentations de femmes nues véhiculent une image persistante et récurrente: une forme iconographique qui assigne un rôle, celui de la femme en tant que concept en lien avec le domaine de la sexualité et de l’érotisme. Objectifiée, érotisée, telle serait donc la perception de la femme qui ressort des œuvres. «Cette image est omniprésente dans l’histoire de l’art occidental et est entrée dans les mœurs, poursuit la professeure. La critique féministe a toutefois permis de repenser l’implication socioculturelle et idéologique de cette figure.»

De cette mise en lumière du nu féminin émerge par ailleurs un mouvement artistique: la réappropriation de leur corps par les artistes.

Le corps fait oeuvre
«Ces deux aspects coïncident dans le temps, précise la professeure Zapperi. Alors que les chercheuses réétudiaient l’histoire de l’art, les artistes récupéraient l’image de leur corps comme objet artistique, permettant une nouvelle appréciation et imagination autour du nu.» Un phénomène qui apparaît avec le mouvement féministe des années 1970. «Elles se sont saisies du nu en ajoutant leur propre subjectivité, leur propre regard.»

Cette réappropriation ne s’est pas faite sans bruit. Giovanna Zapperi cite volontiers le collectif des Guerrilla Girls, né dans les années 1980 à New York. Une des campagnes phares de ce groupe d’artistes militantes anonymes était la représentation de La Grande Odalisque d’Ingres avec, comme slogan: Do women have to be naked to get into The Met. Museum? (Les femmes ont-elles besoin d’être nues pour entrer dans le Métropolitan Museum?)

Repenser l'histoire de l'art au prisme du genre
Cependant, selon la professeure, il y a encore du chemin à faire. «Il faudrait notamment encourager un regard critique et éduqué de la part du public en le sortant de la contemplation passive», note-t-elle. Elle souligne également la nécessité de modifier la structure de la reconnaissance artistique, les artistes femmes étant encore globalement moins représentées. Enfin, elle estime qu’un travail de médiation et de valorisation à travers le prisme du genre serait nécessaire pour un changement réellement constructif.

La professeure approfondira ce sujet lors de la conférence «Le nu féminin dans l’art: un enjeu féministe», le 13 mai de 18h30 à 20h, à Uni Dufour, salle U159.

 

 

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